Cigarette électronique : l’Europe choisit la prudence, mais les ventes connaissent une chute vertigineuse

Les industriels de la cigarette électronique vivent ce que les professionnels du marketing stratégique appellent « un macroenvironnement défavorable ». Les interdictions en cascade de la cigarette électronique en Inde (plus de 106 millions de fumeurs) et dans plusieurs Etats américains (dont New York) ont largement dépassé le cadre du coup dur, pour menacer l’existence-même du marché de la cigarette électronique à moyen terme.

Pour les industriels de l’e-cigarette, les mauvaises nouvelles ne viennent pas seules…

Après le feuilleton des interdictions américaines qui aura occupé les médias tout l’été, les industriels du vapotage ont essuyé un autre coup dur avec la décision du gouvernement de Narendra Modi, premier ministre de l’Inde, d’interdire la cigarette électronique ainsi que l’ensemble de ses composantes. L’Inde emboite le pas à d’autres grandes destinations touristiques asiatiques comme le Japon, la Thaïlande ou encore le Cambodge, à la différence près que le pays prive les industriels de la cigarette électronique d’un marché de plus de 106 millions de fumeurs… le plus grand en nombre à l’échelle mondiale.

De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a changé de discours, passant de l’attente prudente au diagnostic sur « l’incontestable nocivité » de la cigarette électronique. La filière serait-elle promise à une issue fatale ? Pas vraiment… ou du moins, pas encore. En effet, les vapoteurs et les industriels de la cigarette électronique peuvent compter sur deux facteurs clés :

  • Des études rigoureuses et indépendantes qui mettraient à mal le discours américain sur la « nocivité extrême » de la cigarette électronique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les affirmations de la FDA sont loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique ;
  • La consolidation de la « vision » européenne qui estime (à l’écriture de ces lignes) que la cigarette électronique doit rester une alternative au tabac pour jouer un rôle déterminant dans l’amélioration de la santé publique.

En France et au Royaume-Uni, on assiste même à la création de nouvelles entreprises spécialisées dans la conception, la production et la distribution des cigarettes électroniques, des e-liquides (Alfaliquid made in France) et des accessoires destinés au vapotage.

Le mystère américain des 37 décès supposément liés à la cigarette électronique

Le président américain Donald Trump a décidé de valider l’interdiction des e-cigarettes aromatisées à la lumière de l’émergence d’une mystérieuse maladie respiratoire supposément liée au vapotage causant plus d’une trentaine de décès pour 450 malades. Alors que la FDA exhorte très régulièrement les consommateurs américains à éviter de vapoter avec des e-liquides non réglementés, d’autres organismes appellent à l’interdiction de toutes les e-cigarettes, qu’elles soient aromatisées ou pas, en attendant d’identifier avec certitude la nature de la maladie respiratoire en cause dans la série des décès enregistrés pendant les trois derniers mois.

Paradoxalement, aucun cas n’a été enregistré en Europe, un continent qui vapote au moins autant que le pays de l’Oncle Sam. Mieux : des experts américains estiment que les règlements et les contrôles de qualité et de conformité appliqués par l’Europe sur les e-liquides et les cigarettes électroniques sont beaucoup plus stricts que ce qui se fait aux Etats-Unis. « Nous n’avons rien vu de tel que ce que nous avons vu récemment aux États-Unis en Europe, à ma connaissance en tant que scientifique, et je connais bien ce domaine », a par exemple déclaré Constantine Vardavas, directeur des relations scientifiques de l’European Respiratory Society. Rappelons toutefois que l’UE ne pourra compter sur son mécanisme de surveillance des risques liés à la cigarette électronique qu’à l’automne 2020. Plusieurs agences européennes déclarent cependant surveiller « de très près » la situation aux Etats-Unis, malgré un manque de transparence flagrant du côté américain, notamment sur les caractéristiques de la maladie respiratoire en cause dans la série des décès de cet été.

En matière de cigarette électronique, l’Europe se dirige vers la politique du « moindre mal »

En Europe, la cigarette électronique est d’abord perçue comme un moyen pratique et crédible pour encourager le sevrage au tabac. De leur côté, les Américains prétendent que c’est l’inverse qui se produit : les enfants et les non-fumeurs essaient la cigarette électronique pour goûter aux saveurs proposées avant de passer au tabac naturel, ou d’alterner entre les deux au gré des envies.

Les deux visions peuvent se justifier… et le manque de données chiffrées collectées sur le long terme ne permet pas de trancher d’un côté comme de l’autre. D’ailleurs, plusieurs acteurs de la société civile en France et au Royaume-Uni s’inquiètent de voir d’anciens fumeurs délaisser la cigarette électronique pour se remettre à fumer du tabac. « Vous terrifiez les gens qui profitent du vapotage pour ne plus fumer », a déclaré Clive Bates, ancien chef de l’organisation caritative britannique Action on Smoking and Health (ASH) et grand défenseur des e-cigarettes comme outil de sevrage tabagique.

En France, des « enquêtes sont en cours » pour déterminer s’il existe des cas similaires à ceux enregistrés du côté des États-Unis, selon les dires du porte-parole du ministère de la Santé. Pour l’heure, aucun rapport n’a été publié, et le sujet ne fait pas l’actualité. Le porte-parole a par ailleurs indiqué que son ministère avait contacté les fabricants et les revendeurs pour les inviter à communiquer tout cas « suspect » aux autorités. Mais ce climat de suspicion a suffi pour faire chuter les ventes qui ont perdu entre 25 et 30% en moins de trois mois. Nos confrères de La Dépêche.fr ont même titré : « Cigarette électronique : le début de la fin ? ».

La Commission européenne a déclaré avoir commandé à un groupe de conseillers scientifiques indépendants une étude rigoureuse sur les risques sanitaires des e-cigarettes afin d’alimenter un rapport attendu en mai 2021. Ce sera probablement la première fois qu’une étude sérieuse, à l’échelle supranationale, sera rendue publique sur la nocivité de la cigarette électronique.