Les tensions s’accentuaient, et l’opinion publique semblait unanime sur le fait que l’intérêt national devait primer sur celui de l’Europe et de toute autre entité transnationale. A l’occasion du débat conflictuel qui a eu lieu lors du Conseil européen de Nice, les observateurs s’attendaient à une issue compliquée qui pourrait menacer les ambitions des partisans d’une Europe fédérale ou, à minima, d’une Europe politique. Cependant, après une série de concession des uns et des autres, la tradition de l’Union s’est maintenue et un accord a été conclu. Pour les optimistes, il s’agissait là de la seule façon de garantir la poursuite de la construction européenne. Pour les plus pessimistes, c’est à partir du 26 février 2001, date de signature du traité de Nice, que la dynamique européenne a commencé à s’estomper. Focus sur l’un des plus grands traités européens.
Le traité de Nice et la redistribution des voix
Le vif débat entre les grands et les petits pays pour la pondération du vote au Conseil, représenté dans le contexte ibérique par la lutte entre le Portugal et l’Espagne, a accru les tensions au sein de l’union. Une nouvelle répartition du pouvoir entrera en vigueur le 1er janvier 2005. Pour bien cerner la portée des changements opérés, il faut d’abord s’enquérir du système de répartition des voix au Conseil de l’Union Européenne début 2004, avant l’entrée en vigueur du traité :
- Les pays majeurs que sont l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni disposaient chacun de 10 voix ;
- L’Espagne avec un poids de 8 voix ;
- La Belgique, la Grèce, les Pays-Bas et le Portugal avaient chacun 5 voix ;
- L’Autriche et la Suède bénéficiait de 4 voix chacun ;
- Le Danemark, la Finlande et l’Irlande avaient chacun 3 voix ;
- Le Luxembourg fermait la marche avec un total de deux voix.
L’issue du traité de Nice, qui a cherché à réorganiser le système de vote et de prise de décision à 25, a donné 29 voix aux quatre grands pays que sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie. Malgré le déséquilibre démographique, la parité entre la France et l’Allemagne a été maintenue par un subtil jeu politique d’échange de bons procédés entre le couple phare de l’UE. L’Espagne a obtenu un total de 27 voix, tout comme la Pologne qui a bénéficié de l’appui de Berlin. Les Pays-Bas ont hérité de 13 voix, tandis que la Grèce, la Belgique, le Portugal, la République Tchèque et la Hongrie ont obtenu 12 voix par pays. Le Danemark, la Finlande, l’Irlande, la Slovaquie et la Lituanie pouvaient compter sur 7 voix, le Luxembourg, la Lettonie, la Slovénie, l’Estonie et Chypre sur 4 voix, tandis que Malte fermait la marche avec 3 voix.
Le traité de Nice et la nouvelle majorité
Le traité de Nice a également mis en place un système complexe de majorités et de minorités. Il prévoit trois façons différentes de bloquer toute décision du Conseil Européen :
- L’Europe des 27 dispose d’un total de 345 voix. Le seuil de la majorité est fixé à 255 et une minorité de 88 voix peut s’opposer à toute résolution. Cela signifie que trois grands et un petit pays seront toujours en mesure d’empêcher toute décision ;
- Une simple majorité d’opposition des Etats membres empêchera toujours qu’une décision soit prise, même avec une majorité de 255 voix ;
- Enfin, une clause de vérification démographique a été adoptée pour donner plus de pouvoir à une Allemagne plus peuplée. Pour obtenir la majorité qualifiée, il faut qu’une proposition soit approuvée par au moins 62% de la population de l’Union. Cela signifie que l’Allemagne a besoin du soutien de deux grandes nations pour opposer son veto à toute décision. Les autres grands pays ont besoin de la participation des quatre autres grands pays pour exercer leur droit de veto.
Le Parlement européen va alors compter 732 sièges au lieu de 626 avant le traité de Nice. L’Allemagne élira 99 députés, le reste des grands pays 72, l’Espagne et la Pologne 50. Les sièges au Parlement seront utilisés pour compenser les disparités dans la repondération des voix au Conseil. En 2005, les pays qui avaient deux commissaires (l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie) ont dû se contenter d’un seul. Lorsque l’Union est passée à 27 membres, un système de rotation équitable a été adopté pour la désignation des commissaires, en tenant compte du poids démographique différent des pays et de la diversité des zones géographiques du continent. Les compétences du président de la Commission européenne ont été renforcées. Il sera désormais élu à la majorité qualifiée et sa nomination sera ratifiée par le Parlement européen.
Le traité de Nice et la collaboration renforcée entre les États membres
Les sujets faisant l’objet d’une décision à la majorité qualifiée peuvent être augmentés (une quarantaine, la plupart d’entre eux étant d’ordre technique). Cependant, le veto des gouvernements est maintenu sur des sujets qui les concernent au plus haut point, tels que la cohésion (Espagne), la fiscalité (Grande-Bretagne), l’asile et l’immigration (Allemagne) ou le libre-échange dans le domaine culturel et audiovisuel (France). La possibilité d’une coopération renforcée entre les États membres dans les domaines liés à la poursuite de l’intégration a été mise en place. Les coopérations renforcées devaient désormais remplir certaines conditions :
- Au moins huit pays doivent participer pour entamer ce type de coopération plus étroite ;
- Les aspects suivants ont été exclus de cette possibilité de coopération renforcée : les politiques communautaires, les affaires liées à l’espace Schengen et tout ce qui concerne le marché commun, la défense et l’industrie de l’armement.
Tels sont donc les principaux accords conclus lors du Conseil européen qui a débouché sur la signature du traité de Nice. A la demande de l’Allemagne, les États membres ont décidé de convoquer une nouvelle conférence en 2004 afin d’aller plus loin que ce qui avait été réalisé à Nice. Des questions très importantes, telles que la définition des compétences de l’Union Européenne et des États membres, la détermination du statut juridique de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice, le rôle des parlements nationaux dans l’intégration européenne, la clarification de la confusion juridique complexe engendrée par certaines dispositions du traité de Nice et de ceux qui l’ont procédé et d’autres points ont été à l’ordre du jour. Le 26 février 2001, les dirigeants européens, réunis à nouveau dans la capitale azuréenne, procèdent à la signature du traité de Nice. Le président français de l’époque, Jacques Chirac, et le président en exercice de l’Union Européenne, le premier ministre suédois Goran Persson, ont insisté pour nier la prétendue absence d’esprit européen ou encore la persistance de conflits entre les grandes puissances et les petites nations à Nice. M. Chirac et M. Persson ont estimé que le Traité de Nice était réaliste, ambitieux et profitable pour l’Union. Il allait enclencher une nouvelle étape décisive dans l’histoire de l’Union Européenne : son élargissement. Le ministre allemand des Affaires étrangères de l’époque, Joscka Fischer, avait alors soulevé une question clé aux dirigeants européens : la nécessité d’un véritable processus constitutionnel pour l’Europe. Ce sera le grand enjeu des années suivantes. La distance entre l’évolution institutionnelle vers « plus d’union et d’intégration » et l’opinion publique plutôt partisane d’une union moins « agressive » apparaissait pour la première fois dans un pays traditionnellement pro-européen comme l’Allemagne. Malgré la campagne des grands partis pour le « Oui », le peuple irlandais a dit « Non » lors du référendum sur le Traité de Nice en juin 2001.
Du traité de Nice au traité de Lisbonne
Après une série de référendums négatifs aux Pays-Bas et surtout en France en 2005 sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, les États membres ont abandonné ce traité et, après une période de réflexion, ont élaboré un autre projet de traité qui a été signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. Le traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009. A Lisbonne, les dirigeants de l’Union Européenne ont échangé autour du constat de la défiance populaire sur la forme de l’Union Européenne, et ont discuté des moyens pour rendre le bloc plus démocratique, plus transparent mais aussi plus efficace afin de montrer (et de promouvoir) son impact positif sur la vie quotidienne des habitants du Vieux Continent. La réunion de Lisbonne et la signature du traité ont conduit à la création d’un certain nombre de nouveaux postes, dont celui de président du Conseil européen et de haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui a été pourvu par la célèbre Catherine Ashton. Certaines dispositions mineures, principalement techniques, du traité de Nice ont été reprises dans le traité de Lisbonne.